Retrouvez mon intervention au perchoir le 17 février 2020 à propos de la réforme des retraites.

Déposer une motion référendaire est un acte important.

La dernière fois que l’Assemblée a eu à se prononcer pour ou contre l’organisation d’un référendum sur un texte venant en discussion, c’était en 2008.

C’est donc une motion peu courante, et d’autant plus précieuse, que nous la soumettons à votre vote aujourd’hui avec plus de 58 de mes collègues. 

58 députés qui considèrent que ce projet de loi, procédant à une réforme du système de retraite inédite depuis 1945 ne peut s’imposer par la force.

Cet acte pose la question de la souveraineté du peuple et du rôle du Parlement. Depuis l’avènement du quinquennat et de l’élection des députés dans la foulée de celle du Président de la République avec l’inversion du calendrier, quels moyens ont nos concitoyens pendant 5 ans pour exprimer leur opinion, pour exercer leur souveraineté, pour refuser une réforme qu’ils estiment injuste ? C’est une vraie question.

La Constitution française est là pour nous rappeler les principes fondamentaux de la souveraineté nationale et cela dès son premier article.

Notre constitution indique ainsi, je cite « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». 

Elle pose le principe de « la République comme étant le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ».

Elle rappelle enfin que cette souveraineté est « une et indivisible » puisque « aucune section du peuple, ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».

Alors comment sortir de cette crise dans laquelle notre pays est enfoncé depuis maintenant plus de 70 jours suite à la présentation de votre projet de loi pour un système universel de retraite par points ?

Admettons ensemble qu’une telle mobilisation est inédite depuis la naissance de la Vème République. Jamais on n’avait vu autant de professions différentes descendre dans la rue. Ouvriers, du public comme du privé, avocats, cadres, enseignants, personnels soignants, étudiants, pompiers, le monde de la culture et de la création, des professions libérales et tant d’autres encore, crient leurs inquiétudes et leur incompréhension.

Toutes les organisations syndicales se montrent toujours déterminée à obtenir de véritables négociations pour améliorer notre système de retraite, mais pas pour le casser tel que prévu dans ce texte, ni avec une réforme paramétrique qui demande aux Français de travailler plus longtemps.

Le gouvernement nous rappelle tous les jours que le dialogue est ouvert depuis plus d’un an. Mais alors pourquoi nos concitoyens sont toujours aussi nombreux à demander le retrait de cette réforme.

Les doutes et les interrogations des syndicats s’ajoutent à ceux du Conseil d’État. Des formations politiques très différentes de gauche et de droite, des parlementaires, y compris de la majorité, soulèvent tant de questions, toujours sans réponse.

Quel est son financement ? Pourquoi tant de trous dans cette réforme, tant de zones blanches comme celle sur le calcul du point ou sur la prise en compte de la pénibilité ? Pourquoi un tel recours massif aux ordonnances ? 

A ces zones d’ombre s’ajoute un calendrier à marche forcée, incompatible avec un examen serein et approfondi de la réforme. 

Vous avez choisi une procédure accélérée pour étudier un texte dont les premiers effets se feront sentir en 2022 ! 

On n’est pas à deux mois près tout de même !

Une réforme de notre système de retraite, concernant tous les Français et toutes les générations, mérite que nous y accordions tout le temps qu’il faut, avec l’objectif de rassembler la nation comme le fit Croizat en 46.

Il n’y a pas urgence.

Le temps de la démocratie, pour ce sujet majeur ne peut pas être celui d’une réforme imposée, en procédure accélérée.

En refusant d’écouter le mouvement social et en refusant de donner le temps du débat au Parlement, vous prenez un grand risque.

Celui d’une fracture profonde avec nos concitoyens, avec les syndicats, les partenaires sociaux.

Celui d’un fossé qui va continuer de se creuser entre des députés et les Français et abîmer encore plus la politique.

Le moment est venu de mettre fin à l’incompréhension et la colère de nos concitoyens. Et de la meilleure façon qui soit en démocratie : en redonnant la parole au peuple. Seul le référendum permettra d’en sortir par le haut.

Peut-on imaginer qu’une telle réforme, aussi importante, se fasse sans le peuple, ou malgré le peuple, voire, plus grave encore, contre le peuple ? Nous n’avons pas le droit de jouer avec sa colère ni d’alourdir son découragement.

Mes chers collègues, le président de la République et le Premier ministre ont les moyens de sortir de cette crise. 

Mais ils ne sont pas les seuls. Non, ils ne sont pas les seuls à pouvoir aider notre vie démocratique, à surmonter l’épreuve qu’elle rencontre.

Nous autres, parlementaires, disposons également d’un levier très efficace pour donner au peuple la possibilité de surmonter sa défiance à l’égard de ses représentants.

Ce levier, c’est la motion référendaire prévue à l’article 122 du Règlement de notre assemblée. 

Cette procédure, qui s’inscrit dans le cadre de l’article 11 de la Constitution, nous permet de proposer au président de la République de soumettre au référendum cette réforme des retraites.

Chacun d’entre nous ici dispose de la faculté d’en faire usage.

Avec cette motion, chacun d’entre nous ici a l’immense pouvoir que soit sollicité l’avis de nos concitoyens.

Chacun d’entre nous ici, en son âme et conscience, a cette responsabilité, la responsabilité de revenir au fondement de notre démocratie : entendre le peuple lui-même.

Loin de s’opposer au suffrage universel, la motion référendaire renforce la démocratie. 

Car elle offre une sortie de crise digne et solennelle.

Chers collègues, de tous bords et de toutes sensibilités, le sort de cette sortie de crise est entre vos mains. Elle est le signe de la fidélité supérieure que nous devons au peuple et qui, en chacun d’entre nous, doit l’emporter sur tous nos autres attachements, aussi légitimes soient-ils.

Loin de contredire en quoi que ce soit la légitimité du président de la République ou du gouvernement, ni leur droit à mener la politique sur laquelle ils se sont engagés, la motion référendaire constitue, au contraire, le recours qui, en cas de difficulté grave, leur permet de vérifier si leur route est bonne ou s’il est nécessaire d’en changer.

Le référendum est une solution de sagesse. Elle est réservée aux crises graves comme celle que nous vivons depuis de longs mois et dont l’issue ne peut plus être raisonnablement trouvée en dehors des français.

Nous sommes de ceux qui disons que l’on ne gouverne pas un pays par référendum. Mais on ne gouverne pas non plus sans écouter le pays.

La majorité prétend que bon nombre de nos concitoyens lui demande de tenir bon ? 

Mais entendez vous toutes celles et ceux qui disent qu’ils ne veulent pas de cette réforme !?

Etes vous seulement à l’écoute du Président de la République ou etes vous à l’écoute de tous les Français ?

L’histoire nous rappelle avec force que la grandeur de la nation française est d’accepter de retourner vers le peuple lorsque des circonstances majeures l’imposent. 

Et de faire confiance à son intelligence, à sa capacité à comprendre une loi, une réforme, à juger si elle est bonne ou pas pour lui.

En 2005, sur le Traité Constitutionnel européen, que certains annonçaient trop complexe, le référendum a donné lieu à un très beau débat dans notre pays. Nos concitoyens se sont emparés de ce Traité ligne par ligne, avec passion. 

Et à l’arrivée, ils ont choisi. La démocratie, quand elle fait le pari de l’intelligence l’emporte toujours. Certes, trois ans plus tard, avec une violence inouïe et toujours vivace, certains ont préféré s’asseoir sur l’avis du peuple. Mais c’est un autre débat…

Aujourd’hui, chacune et chacun d’entre nous, dans tout le pays, doit pouvoir se saisir du projet de réforme des retraites. Faisons confiance à l’intelligence du peuple français. N’insultons pas son intelligence, de grâce !

Les Français doivent savoir. 

Ils doivent lire par eux même ce qu’il y a dans votre texte de loi dont les députés communistes et du groupe GDR demandent le retrait.

A rebours du progrès de civilisation, de la chance que représente l’allongement de la durée de la vie, il faut qu’ils découvrent, par eux même qu’avec ce texte, ils devront travailler plus longtemps : jusqu’à 65 ans d’ici 2037 puis jusqu’à 66 ans et demi pour la génération 1990. 

De fait, en partant à 62 ans, les futurs retraités subiraient des décotes importantes sur leurs pensions, de l’ordre de 15 %. C’est de cela dont il faut discuter avec les Français.

Un exemple parmi d’autres : 500 000 agents hospitaliers vont perdre leur possibilité de départ anticipé à 57 ans et seront soumis au droit commun avec départ à 62 ans, avec décote. On pourrait y ajouter les indépendants, comme les avocats ou les kinés, qui vont perdre la gestion de leur caisse autonome et subir une forte hausse de leur cotisation.

Il faut débattre avec les français de la part que notre pays veut consacrer aux retraites. Elle était de 6 % du PIB en 1950 et elle a toujours progressé pour tenir compte de l’allongement de la durée de la vie. 

Elle est aujourd’hui de 14 % et nous produisons 4 fois plus de richesse qu’il y a 70 ans. Nous considérons que cette part doit continuer de progresser alors que ce texte de loi envisage de la diminuer à 12,8 %.

Ce qui serait en totale contradiction avec l’évolution naturelle de la démographie, qui voit augmenter, et c’est tant mieux, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans.

Voilà pourquoi le montant des pensions, leur évolution ou l’âge de départ en retraite seront, dans votre projet, les seules variables d’ajustement  de l’équilibre financier ! 

Que dire de la pénibilité ? En voulant faire des économies sur notre système de retraites, en refusant de taxer le capital, en n’écoutant que le MEDEF, vous refusez de prendre en compte la pénibilités de nombreux travailleurs, qu’ils soient soudeurs, couvreurs, égoutiers, bucherons, caissières, agriculteurs, infirmières, conducteurs de métros, de trains, ou de bus. Et les femmes ! Elles seront encore les victimes de cette réforme, laissant au bord du chemin celles qui subissent le temps partiel avec 700 à 800 euros net par mois de salaires.

Votre réforme, c’est un projet de société, tellement différent de ce qui a fait la force et l’originalité de la nation française .

De tout cela, mes chers collègues, il faut pouvoir en discuter sincèrement avec nos concitoyens, qui pour 67 % sont favorables à l’organisation d’un référendum.

Mais aussi permettre à ceux qui défendent cette réforme de pouvoir en démontrer les bienfaits et les avantages  s’ils y croient !

Engageons ce grand débat à travers tout le pays !

Relevons le défi tous ensemble, oui, mes chers collèges de la majorité.

N’ayons pas peur de permettre à nos concitoyens de débattre pour que chacun puisse avancer ses arguments, en toute conscience et en toute connaissance, selon sa sensibilité et ses convictions.

C’est le général de Gaulle, qui a utilisé 5 fois le référendum en 10 ans, qui disait : « La démocratie se confond exactement pour moi avec la souveraineté nationale. La démocratie, c’est le gouvernement du peuple par le peuple et la souveraineté nationale, c’est le peuple exerçant sa souveraineté sans entrave ».

La démocratie ne s’exerce pas tous les 5 ans. Surtout quand le candidat, devenu président avait dit lors de sa campagne qu’il n’augmenterait pas l’âge de départ en retraite, qu’il ne changerait pas les règles de notre système par répartition.

C’est pourquoi, avec 58 députés, venus de tous horizons, de groupe politiques très différents, et dans le respect de nos opinions, nous nous adressons à vous tous, chers collègues, en vous invitant à voter cette motion référendaire. 

Par ce vote, nous pouvons, tous ensemble, reconquérir une part de la confiance citoyenne dont notre démocratie manque cruellement.

La force de la nation française, qui s’est forgée en abolissant la monarchie il y a 230 ans, réside dans son peuple, dont nous sommes ici les humbles représentants. Depuis, le peuple de France, dans sa grande diversité, est très exigeant en matière de démocratie et de souveraineté.

Et Il n’aime pas être trompé.

Donnons-lui aujourd’hui, le moyen d’être entendu. Retrouvons en France le goût de la politique, du vote, du débat digne, sur le fond et pas sur les personnes.

Redonnons le goût de la démocratie aux Françaises et aux Français qui nous suivent aujourd’hui, nous observent et qui veulent toutes et tous rester maître de leur choix et de leur destin.